Enseignements tirés par les TriO : Le modèle ontarien de regroupement des tribunaux peut-il promouvoir la justice administrative?
Michael Gottheil et Doug Ewart 1
Le 8 mars 2011
Introduction
On trouvera dans cet article une première série d’observations sur la récente initiative ontarienne visant à « regrouper » certains
des tribunaux décisionnels de la province. Dans ce modèle, on a réuni un groupe de tribunaux ayant un mandat particulier au sein d’une même
organisation, sous la direction d’un président exécutif. Les tribunaux ainsi regroupés, et le groupe en soi, relèvent du ministère du Procureur
général 2 . Cette solution structurelle entend pallier le fait que les tribunaux autonomes présentent un certain nombre d’inconvénients,
bien qu’ils puissent favoriser et maintenir la spécialisation, ce pour quoi ils ont souvent été créés.
Voici quelques-uns de ces inconvénients : les tribunaux risquent de devenir la chasse gardée du ministère tutélaire et, souvent, de certains intervenants;
leurs ressources infrastructurelles ne sont pas utilisées efficacement; ils risquent de devenir des sortes de tours d’ivoire fonctionnant par et pour elles-mêmes;
ils risquent de ne plus pouvoir refléter, dans leurs activités, l’évolution des politiques publiques, des valeurs de la société, des questions d’ordre conceptuel,
démographique, technique ou juridique. Le cloisonnement des tribunaux risque aussi de nuire à la diversité des affaires traitées et au perfectionnement
professionnel des arbitres, en outre, un tribunal saisi d’un faible nombre d’affaires aura beau faire, les ressources risquent tout simplement de lui manquer
pour remplir efficacement son mandat d’appareil de justice administrative moderne 3 .
1 Michael Gottheil a été le premier président exécutif des Tribunaux de l'environnement et de l'aménagement du territoire Ontario. En mars 2011, il a été
nommé président exécutif du Regroupement des tribunaux de justice sociale. Après une vingtaine d’années de pratique privée en droit administratif et en droit
de la personne et du travail, il a occupé de 2005 à 2009 la présidence du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. Lorsque cet article a été rédigé,
Doug Ewart était conseiller principal du Projet de réforme du système de justice administrative du TriO. Il compte plus de 30 ans d’expérience en élaboration
de politiques judiciaires pour les gouvernements ontarien et canadien dans les secteurs du droit civil, du droit de la famille, du droit administratif, du droit
criminel, du droit des Autochtones et du droit de la personne et dans les affaires de droit à l’égalité. Cet article est un extrait mis à jour de la présentation
intitulée : « Faciliter l’accès à la justice par le dialogue international : leçons à retenir pour et de la stratégie ontarienne du regroupement visant l’efficacité des tribunaux »,
qu’a faite Michael Gottheil à l’occasion de l’édition 2010 de l’Australasian Conference of Planning and Environmental Courts and Tribunals, et que l’on peut
consulter sur le site Web des TriO. Les opinions exprimées dans cet article sont celles des coauteurs, et non celles du gouvernement de l’Ontario.
2 Lorsqu’ils ne sont pas regroupés, les tribunaux de l’Ontario rendent généralement compte de leurs activités au ministre responsable du secteur dans lequel ils travaillent. Voir la note 22 plus loin.
3 On appelle ces petits tribunaux, souvent isolés, des tribunaux orphelins.
Les solutions structurelles à ce genre de problèmes sont encore assez récentes et vont de la fusion complète (unification), au regroupement par listes ou groupes
distincts d’arbitres en fonction des questions à traiter, à la création de conseils ou de secrétariats tutélaires chargés de faciliter, et parfois de coordonner,
certains aspects du travail judiciaire au sein de tribunaux qui restent par ailleurs indépendants les uns des autres.
Le regroupement se situe entre ces deux extrêmes. On peut le définir 4 comme la réunion d’un sous-groupe de tribunaux d’une même instance au sein d’une même organisation
ou d’un même organisme sous l’autorité d’une entité décisionnelle, chaque tribunal conservant sa compétence légale 5 et sa spécificité de membre6 . Si le regroupement favorise
une approche intégrée aux activités, comme nous le verrons plus loin, le modèle adopté en Ontario permet de préserver, voire d’approfondir, le champ de spécialisation 7 , et
prévoit que certains tribunaux membres pourront maintenir les liens particuliers qu’ils ont établis avec leurs intervenants et usagers. Sous sa forme actuelle, le modèle ontarien
peut nous aider à répondre à plusieurs des questions soulevées (lors de discussions sur la recherche et la réforme du droit 8 ) sur la fusion des tribunaux, et à atteindre, de
façon pratique et tangible, un objectif fondamental : l’accès à la justice dans son sens le plus large 9 .
4 Bien que d’un emploi assez limité, ce terme a déjà été employé dans ce genre de contexte, mais dans un sens différent que celui que nous entendons ici; voir par exemple
l’argument présenté par la New Zealand Law Commission (dans Determining Justice for All, A Vision for New Zealand’s Courts and Tribunals, mars 2004, p. 288). Elle emploie le terme
« regroupement » pour décrire la réunion de tribunaux avec un bien plus grand degré d’uniformisation (des tribunaux moins nombreux, mais de plus grande envergure et intégrés au sein
d’une même entité) que nous ne le laissons entendre ci-dessus.
5 Pour comparer l’efficacité de différents regroupements dans une optique internationale, il est important de savoir s’ils découlent de réformes législatives qui ont fusionné les
compétences des tribunaux membres ou visaient, plus fondamentalement, à rationaliser les lois et les politiques régissant les affaires instruites par les tribunaux du groupe. Lorsque
les premiers groupes ont été créés en Ontario, on n’a fait ni l’un ni l’autre, et le regroupement ne sera accompagné d’aucune autre réforme de la compétence des tribunaux membres ou du
contexte législatif et stratégique dans lequel ils opèrent, où les chevauchements des champs d’activités sont fréquents.
6 Dans un regroupement, les nominations conjointes ne changent rien au fait que tous les membres du tribunal, y compris ceux qui sont nommés depuis un autre tribunal, y sont
spécialement affectés et ne sont habilités qu’à juger les affaires portées devant le ou les tribunaux où ils sont nommés. Aux termes de l’article 14 de la Loi de 2009 sur la
responsabilisation et la gouvernance des tribunaux décisionnels et la nomination à ces tribunaux, L.O. 2009, chap. 33, annexe 5 (la Loi sur les tribunaux décisionnels), les personnes
nommées à des tribunaux décisionnels doivent avoir les qualités requises définies par la loi, et « l’expérience, les connaissances ou la formation en ce qui concerne le sujet et les
questions de droit dont traite le tribunal » où elles sont affectées, à moins que ces exigences ne soient abolies par un règlement pris en application de l’alinéa 23 e) de la Loi.
En dehors des dispositions concernant le regroupement, la Loi n’a pas encore été adoptée.
7 Il s’agit là d’une différence notable entre le modèle ontarien de regroupement et les autres modèles de réforme, comme les fusions. Préserver le champ de spécialisation est
précisément ce pour quoi la plupart des tribunaux ont été créés et répond aux besoins de ses usagers et des personnes touchées par ses décisions, c’est aussi un moyen de promouvoir
directement l’accès à la justice (voir l’article mentionné plus haut à la note 1, pages 16 et 17). Ce modèle facilite aussi indirectement l’accès à la justice en fondant sur des
principes la déférence des cours de révision, ce qui renforce l’irrévocabilité des décisions judiciaires et limitent les avantages que pourraient avoir ceux qui ont les ressources
nécessaires pour faire réinstruire leurs affaires.
Les auteurs tiennent à remercier Jamie Baxter de son précieux travail de recherche et d’analyse sur la comparaison du modèle ontarien de regroupement et les stratégies adoptées
ou envisagées par d’autres compétences pour réunir des tribunaux. M. Baxter, qui a obtenu son diplôme de la faculté de droit de l’Université de Toronto en 2010, a travaillé comme
stagiaire d’été la même année aux TriO sous la direction générale de Lorne Sossin, doyen de la faculté de droit d’Osgoode Hall de l’Université York.
9 Voir l’article cité plus haut à la note 1, pages 13 à 21, et note 7.
1. Le fondement législatif du regroupement : Liens et synergies
La Loi de 2009 sur la responsabilisation et la gouvernance des tribunaux décisionnels et les nominations à ces tribunaux10 (la Loi sur les tribunaux décisionnels)
offre un cadre élargi qui facilite l’évolution des tribunaux décisionnels de l’Ontario 11. Elle fixe les exigences de production et de publication des documents qui
doivent décrire leurs composantes structurelles clés en tant qu’organismes publics responsables devant le public, notamment à travers le gouvernement, et en tant
qu’organismes décisionnels au sein du système de justice où la nécessité de concilier responsabilisation et indépendance de toute influence extérieure, y compris
celle du gouvernement, soulève des questions de gouvernance bien particulière. Ces documents comprennent : énoncé de mission et de mandat, qualités requises des membres,
normes de service, politiques de règlement des plaintes, code déontologique, et autres questions semblables 12.. La Loi rappelle que les tribunaux décisionnels sont
indépendants, la nomination des membres doit se faire sur la recommandation du président, après un processus concurrentiel fondé sur le mérite 13, les qualités requises
étant définies.
La Loi habilite aussi le gouvernement à désigner deux tribunaux décisionnels ou plus « comme groupe » s’il est d’avis que les questions dont ils traitent sont telles « qu’ils
peuvent fonctionner de manière plus efficace et efficiente comme membres d’un groupe qu’isolément »14.
La disposition régissant le regroupement a été rédigée de manière à transmettre des messages importants sur l’intention du législateur. Ainsi, pour pouvoir regrouper deux tribunaux
ou plus conformément à la Loi, le gouvernement doit avoir pris connaissance du type d’affaires 15 qu’ils traitent et conclu que ces affaires seraient réglées plus efficacement en regroupant
ces tribunaux qu’en les laissant opérer seuls. Dans la formule ontarienne, le regroupement se justifie dès lors qu’il améliore l’efficience et la capacité des tribunaux membres de
traiter et de régler les affaires dont ils sont saisis.
10 Voir la note 6.
11 En Ontario, l’expression tribunal décisionnel désigne un tribunal prescrit comme tel en vertu de la Loi sur les tribunaux décisionnels. Il n’existe pas de définition officielle. Voir le Règl. de l’Ont. 126/10 pour une liste à jour des tribunaux décisionnels.
12 Loi sur les tribunaux décisionnels, citée plus haut à la note 6, articles 3 à 8.
13 Idem, article 14. Le gouvernement peut admettre des exceptions : voir l’alinéa 23 e).
14 Idem, article 15. Cette disposition est entrée en vigueur.
15 Dans le contexte des TriO, les affaires ayant menées à la création du regroupement sont celles dont sont habituellement saisis ces tribunaux, elles portent toutes sur
l’aménagement du territoire et l’évaluation foncière. Dans d’autres modèles, le terme prescrit peut s’appliquer à la nature des affaires portées devant les tribunaux regroupés,
même si le sujet commun n’est pas aussi clairement défini que le territoire. Ni l’un ni l’autre de ces scénarios n’exige que l’ensemble des tribunaux décisionnels dont l’efficacité
pourrait être améliorée par un regroupement fassent partie d’une telle entité, ni que l’efficacité de chaque tribunal membre soit améliorée de façon identique. Le regroupement
n’est pas, en soi, une fin structurelle rigoureusement définie, mais une façon souple d’aider les tribunaux membres à mieux servir le public.
Le législateur a choisi de regrouper les tribunaux selon leur aptitude à traiter plus efficacement les affaires dont ils sont saisis, mais certains proposent de le faire
en fonction d’autres considérations comme :
- le type de modèles décisionnels auquel on a recours (le modèle contradictoire « complet » par opposition au modèle inquisitoire axé sur la collaboration active);
- le type de clientèle (tribunaux dont la plupart des usagers sont des parties institutionnelles ayant des ressources adéquates et bien représentées par opposition aux tribunaux
dont la clientèle, pour l’essentiel, n’est pas représentée et a des ressources limitées; ou tribunaux dont la clientèle est formée de propriétaires – par exemple, les affaires
portant sur l’impôt foncier ou des questions de rénovation - ou des entreprises aux prises avec des problèmes de délivrance de permis et de conformité aux règlements).
Le regroupement est fondé, en partie, sur une amélioration notable de l’efficacité des tribunaux membres, mais le législateur ne vise pas seulement les gains d’efficience,
découlant du partage des locaux et de l’intégration administrative, mais aussi une efficacité accrue dans le règlement des affaires qui relèvent de la compétence des tribunaux
du groupe. Deux concepts entrent en jeu ici : i) l’efficacité, et non seulement l’efficience; et ii) l’efficacité quant au fond et non quant à la procédure. Le modèle ontarien
de regroupement ne cherche pas uniquement à améliorer le rendement des tribunaux, mais plutôt à améliorer les résultats pour les usagers ou les personnes affectées par leurs
décisions 16 .
16 Lorsqu’on évalue les résultats plutôt que le rendement, l’accent n’est plus sur le volume d’affaires réglées et la rapidité de traitement des instances, mais sur les
résultats obtenus. Le type de résultats que l’on peut attendre d’un regroupement comprend des décisions prises en fonction de considérations juridiques et contextuelles qui
traversent les compétences judiciaires, et forment un corpus jurisprudentiel cohérent, qui aidera ceux qui sont touchés par les décisions judiciaires.
Une fois que le gouvernement a exercé son pouvoir de regroupement, les tribunaux concernés sont désignés « comme groupe »17. C’est une forme de concrétisation du concept
de groupe, et c’est plus qu’une référence, car une fois constitué, le groupe devient une entité reconnue par la loi, avec une identité et un objet qui lui sont propres. La
Loi précise également qu’en cas de regroupement, les documents de responsabilisation en matière de gouvernance que tous les tribunaux décisionnels ontariens doivent détenir,
et qui deviennent des caractéristiques organisationnelles déterminantes, doivent être préparés et signés conjointement 18. Nous l’avons dit plus haut, ces documents comportent,
entre autres, un énoncé de mission et une description des compétences et des qualités requises des membres. Ici encore, le fait que les tribunaux regroupés doivent conjointement
produire un énoncé de mission, ainsi qu’une description des compétences et des qualités requises de leurs membres, indique que le groupe doit avoir une existence et un objet
avant d’être considéré comme une entité administrative formée de plusieurs tribunaux.
Une fois le groupe créé, le gouvernement peut nommer un président exécutif qui dirige et gère tous les tribunaux membres. Ce président cumule donc, par force de loi, tous les
pouvoirs et toutes les responsabilités dont est investi le président de chacun de ces tribunaux en vertu d’une loi, d’un règlement, d’un décret ou d’une directive19. Le choix de
conférer tous ces pouvoirs et toutes ces responsabilités à un seul président souligne la volonté de ne pas se limiter au modèle du président coordonnateur et de créer une situation
où le président exécutif dirige le groupe en tant qu’entité pour améliorer l’efficacité et l’efficience.
La Loi permet, mais ne requiert pas du gouvernement qu’il nomme un président associé à la tête de chaque tribunal du groupe. S’il choisit de le faire, il peut nommer un ou plusieurs
des présidents associés comme présidents exécutifs suppléants du groupe. Cette structure hiérarchique souligne que le groupe doit fonctionner comme une entité interconnectée, et non
seulement comme un groupe coordonné d’organismes décisionnels ayant chacun leur propre direction.
La Loi sur les tribunaux décisionnels illustre clairement la volonté du législateur de créer des groupes de tribunaux à des fins qui ne se limitent pas à la coordination et
l’efficience administratives. Il suffirait, pour atteindre ces objectifs, de faire appel à des spécialistes externes en efficience et d’encourager les tribunaux à travailler de
concert. En faisant de l’amélioration des résultats (l’efficacité visée) des tribunaux regroupés une condition clé du regroupement, en exigeant la production de documents de
responsabilisation et de gouvernance conjoints et en nommant un seul président exécutif à la tête de tous les tribunaux du groupe, on envoie un autre message. Il faut interpréter
et appliquer le mandat du groupe de tribunaux de façon à partager les expériences, améliorer les connaissances, développer les liens et encourager les synergies entre les affaires
traitées par un groupe, avec la seule réserve de respecter les éléments inchangés du mandat statutaire de chaque tribunal membre.
17 Voir, Règl. de l’Ont. 126/10, qui crée officiellement le groupe des TriO. Voir aussi le paragraphe 16 (3) de la Loi sur les tribunaux décisionnels (plus haut, note n°8) qui prescrit la nomination des présidents exécutifs suppléants « du groupe ».
18 Idem, article 18.
19 Idem, article 17. Le gouvernement peut, par règlement, l’exempter de certaines tâches normalement attribuées au président exécutif en vertu de cette disposition; voir l’alinéa 23 f).
2. 2. Où en est le regroupement aujourd’hui
Les Tribunaux de l’environnement et de l’aménagement du territoire Ontario (TriO) nous ont donné une première 20 occasion de savoir si des tribunaux regroupés fonctionnent de façon plus efficiente
qu’ils ne le feraient isolément, si les affaires dont ils sont saisis peuvent être réglées plus efficacement, et si l’accès à la justice et la qualité des services peuvent être notablement améliorés.
Leur création est généralement considérée comme un indicateur clé de la volonté de l’Ontario de moderniser la justice administrative.
Ce regroupement était informel à l’origine; les cinq tribunaux des TriO 21 ont été regroupés sous un même toit sous l’autorité d’un seul ministère 22, et le tout intégré dans une
infrastructure administrative fusionnée 23. On a accéléré le processus en nommant, en novembre 2009, un président exécutif à la tête des cinq tribunaux et en adoptant cet automne-là
la Loi sur les tribunaux décisionnels 24 qui établit le cadre législatif du regroupement.
20 En août 2010, le gouvernement de l’Ontario a annoncé la création d’un second groupe réunissant les tribunaux de « justice sociale », et l’ouverture d’un concours pour le poste de président exécutif. Ce groupe a été officiellement
créé le 25 janvier 2011 par une modification au Règl. de l’Ont. 126/10, et son président exécutif (Michael Gottheil) a depuis été nommé par le Conseil des ministres.
21 Les tribunaux qui composent le groupe Tribunaux de l'environnement et de l'aménagement du territoire Ontario sont les suivants :
La Commission de révision de l'évaluation foncière, qui entend des appels en matière d'évaluation foncière et s'assure que les biens-fonds sont évalués en conformité avec les dispositions de la Loi sur l'évaluation foncière. La Commission, chargée d’appliquer diverses autres lois, entend aussi des appels relatifs à l'impôt foncier.
La Commission de négociation, qui sert d'organe de médiation volontaire dans les litiges concernant l'indemnisation accordée en cas d'expropriation. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, l'affaire peut être portée en appel devant la Commission des affaires municipales de l'Ontario.
La Commission des biens culturels, qui tient des audiences sur les litiges visant des biens susceptibles d’avoir une valeur ou un intérêt sur le plan du patrimoine culturel, ou des litiges entourant la délivrance de licences archéologiques. Après avoir examiné une affaire, la Commission formule des recommandations à l’instance à qui revient la décision finale, soit le conseil municipal local soit le ministre de la Culture.
Le Tribunal de l'environnement, qui entend des demandes et des appels en vertu de diverses lois environnementales et d’aménagement du territoire, y compris de la Charte des droits environnementaux de 1993, la Loi sur la protection de l'environnement, la Loi sur les ressources en eau de l'Ontario et la Loi de 2002 sur la salubrité de l’eau potable. Le Tribunal agit également en tant que Bureau des audiences de la Commission de l'escarpement du Niagara et entend les appels visant des permis d'aménagement et des demandes de modification du Plan d'aménagement de l'escarpement du Niagara pour cette réserve mondiale de la biosphère, qui est une aire protégée. Enfin, en qualité de Bureau de jonction des audiences, il tient des audiences conjointes sur des affaires qui, autrement, devraient être instruites par plusieurs tribunaux.
La Commission des affaires municipales de l'Ontario, qui entend des demandes et des appels visant diverses affaires municipales et portant sur des questions financières, foncières ou d’aménagement du territoire, notamment plans officiels, règlements de zonage, plans de lotissement, consentements et dérogations mineures, indemnisation foncière, redevances d'aménagement, limites des circonscriptions électorales municipales, finances municipales, ressources en agrégat et autres questions relevant de la Commission en vertu de diverses lois de l'Ontario.
22 Les deux tribunaux des TriO qui ne relevaient pas encore du ministère du Procureur général lui ont été rattachés, dans un souci de conformité au rôle des tribunaux administratifs dans l’ensemble du système judiciaire, et aussi pour montrer que les tribunaux sont des organes judiciaires indépendants de leurs ministères de tutelle, contrairement aux organismes chargés d’exécuter les programmes gouvernementaux.
23 Ce groupe a été créé après une analyse et un processus de consultation approfondis entamés en 2005-2006 par Kevin Whitaker, alors président de la Commission des relations de travail de l’Ontario (aujourd’hui juge à la Cour supérieure de justice). Voir le Rapport intérimaire du facilitateur du groupe des tribunaux en matière d’affaires municipales, d’environnement et d’aménagement du territoire daté du 31 janvier 2007, et le Rapport final du 22 août 2007.
24 Voir plus haut, note 6.
a) Aperçu des caractéristiques et avantages clés
Bien que l’historique législatif soit très limité, on peut sans crainte avancer que la Loi sur les tribunaux décisionnels met en évidence les objectifs de modernisation que l’Ontario poursuit,
depuis quelque temps déjà, mais sans fondement législatif générique. On retrouve ces objectifs un peu partout : dans des travaux de recherche et de symposiums 25, dans le travail d’organisations
comme la Society of Ontario Adjudicators and Regulators (SOAR), dans les directives du gouvernement en matière de gouvernance judiciaire et dans certaines lois antérieures 26 . Ils comprennent
l’accessibilité, l’équité, la professionnalisation, la proportionnalité, le règlement rapide des litiges, la prise de décisions fondées sur des motifs clairs, concis et compréhensibles, des
mécanismes qui améliorent la cohérence jurisprudentielle des tribunaux et, en général, la primauté de l’usager. Ces objectifs et les valeurs essentielles qui s’y rattachent font partie de
catégories d’objectifs plus générales, tels que l’accès à la justice, la responsabilité et l’indépendance.
Le modèle structurel adopté dans les premiers groupes de l’Ontario, bien qu’ayant un caractère propre et encore très récent, et bien que présentant des défis bien particuliers, possède plusieurs caractéristiques qui peuvent
nous rapprocher de ces objectifs. Voici quelques-unes des caractéristiques clés, identifiées par les TriO :
- Chaque tribunal du groupe conserve sa compétence légale particulière, même lorsque les questions qui relèvent de lui (par exemple, une terre marécageuse) relèvent aussi, mais à d’autres fins, de la compétence
d’un autre tribunal des TriO. Chaque tribunal amène également son propre groupe d’intervenants et, parfois, des intervenants dont les intérêts relèvent de plusieurs compétences judiciaires.
- Chaque tribunal du groupe continue d’avoir un contingent d’arbitres expressément affectés à son service et ayant une compétence exclusive sur les affaires qu’ils instruisent. Ceci leur permet d’avoir l’expertise initiale nécessaire 27,
et augmente les chances pour les membres d’exercer leurs compétences assez fréquemment pour conserver leur expertise.
- Les tribunaux doivent rendre exécutoire l’intention du législateur en profitant de leur regroupement pour remplir plus efficacement leur mandat statutaire. On s’efforcera donc d’étoffer les résultats de
chaque tribunal, en élargissant les connaissances, l’expérience et les perspectives appliquées aux affaires, et en tirant avantage d’une capacité accrue de comprendre et d’intervenir adéquatement lorsque
les sujets, les contextes et les retombées pratiques des décisions sont interconnectés.
- Il n’est pas nécessaire d’établir la structure hiérarchique des tribunaux membres par une stricte adhérence à leurs structures de gouvernance antérieures. Nous le notions plus tôt, la Loi envisage la
nomination d’un président exécutif investi de tous les pouvoirs et toutes les fonctions de l’ancien président de chacun des tribunaux. De plus, et bien que la Loi permette de nommer un président associé
à la tête de chaque tribunal, rien n’empêche de ne pas avoir de président associé ou de nommer des présidents associés qui seront responsables de plusieurs tribunaux, ou encore de confier à l’un ou
plusieurs d’entre eux, après leur nomination à la tête d’un tribunal donné, des responsabilités plus générales au sein du groupe, tel que les services de médiation, le perfectionnement professionnel,
les pratiques en matière d’arbitrage, les affaires prioritaires, etc.
De façon générale, même si l’on désigne des présidents associés à la tête de certains tribunaux, leur description de poste peut indiquer clairement qu’ils sont avant tout responsables de la
gouvernance et du développement de l’ensemble du groupe28 et que le président exécutif continue de diriger les tribunaux membres, ainsi que le groupe en tant qu’entité 29.
Autoriser la nomination de présidents associés comme présidents exécutifs suppléants du groupe, les rend plus vigilants et les confirme dans leur rôle d’encadrement général.
25 25 Voir, par exemple, les articles réunis dès 2007 à l’adresse suivante : http://www.law-lib.utoronto.ca/Conferences/Administrative_Justice_Bibliography/ajb.htm#1.
26 Par exemple, l’obligation légale de ne nommer les membres d’un tribunal décisionnel qu’à l’issue d’un processus concurrentiel, fondé sur le mérite et les critères prescrits
en matière de travail et de procédures judiciaires, est apparue pour la première fois en Ontario en 2006, dans les modifications apportées au Code des droits de la personne
(voir le paragraphe 32 (3) du Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19, tel que modifié). D’autres dispositions de cette loi établissent le cadre juridique pour mener
les instances et régler les litiges dans un modèle judiciaire dynamique, signe que les tribunaux ont la maturité nécessaire pour agir en toute indépendance au sein du système de justice.
27 Voir la note 6 plus haut.
28 Selon l’actuelle description de poste des TriO, le président associé « en tant que membre de l’équipe de la haute direction des TriO, participe au renforcement et à la direction
du groupe de tribunaux qui forme les TriO », en plus d’assurer un leadership en matière de jurisprudence et la supervision quotidienne [bien qu’il ne soit pas responsable délégué] d’au
moins un des tribunaux composant les TriO.
29 La description du poste de président associé des TriO prévoit aussi qu’il doit informer régulièrement le président exécutif et lui fournir des recommandations sur les causes et les
questions soulevées dans un tribunal qui revêtent une grande importance, qui ont une forte incidence sur le public et sur la jurisprudence procédurale ou substantielle ou les ressources
requises d’un tribunal ou des parties, qui influent sur la compétence du tribunal ou soulèvent des questions qui intéressent l’ensemble du groupe, y compris l’affectation d’une expertise
judiciaire particulière ou le recours à des nominations conjointes, ou qui portent sur des plaintes ou des demandes de réexamen ou de révision.
- Bien que les services administratifs des cinq tribunaux des TriO aient été fusionnés pour traiter de questions comme les finances ou les communications, on affecte tout de même du personnel
de traitement des cas aux unités organisées autour d’un domaine de spécialisation. On veut montrer ainsi que les arbitres et tous les autres membres du tribunal qui s’occupent des dossiers
travaillent en équipe afin de régler les litiges que leur soumettent les membres du public. Chaque tribunal doit pouvoir compter sur un personnel ayant une connaissance approfondie de la
jurisprudence, des intervenants et des procédures liées à certaines questions, qu’elles relèvent de la compétence d’un ou de plusieurs tribunaux du groupe; cela est essentiel pour bâtir et
développer la capacité de travailler en équipe, ainsi que la confiance et le respect mutuels qui doivent exister entre le personnel et les arbitres d’un tribunal.
- Les cinq tribunaux ont été réunis sous un même toit, sur quatre étages dans un édifice à bureaux du centre-ville de Toronto. Les TriO ont réaménagé les aires communes de façon que les arbitres
de chacun de leurs tribunaux aient leurs bureaux au même étage, le président exécutif, les présidents associés et le directeur général sont eux aussi regroupés, il en va de même pour les avocats,
etc. Cette organisation administrative permet une gestion unifiée au sein des TriO, et illustre concrètement la nouvelle structure, et facilite les consultations informelles dans le couloir, et
ouvre le champ de compétence judiciaire traditionnel.
- Ce modèle permet de procéder à des nominations conjointes rigoureuses et stratégiques, une formation polyvalente poussée30, ainsi qu’au partage des locaux, ce qui enrichit le bagage expérientiel
et les connaissances des arbitres, et améliore leur expertise individuelle et collective31. Cette structure favorise les synergies entre les tribunaux membres des TriO, et démontre qu’il est important
d’avoir des normes communes élevées en matière de pratiques juridictionnelles accessibles. La satisfaction professionnelle et la mobilité des arbitres s’en trouveront aussi accrues.
30 Par exemple, le plan de perfectionnement professionnel des TriO offrira des programmes aux membres de tous les tribunaux du groupe. Des programmes adaptés seront également proposés, au besoin, ils
seront classés par ordre de priorité, élaborés et coordonnés par le comité de perfectionnement professionnel des TriO. Le comité cherchera aussi des façons d’encourager la participation des membres d’autres
tribunaux des TriO.
31 Dans un groupe, l’expertise englobe l’expérience et les connaissances de tous les arbitres qui font partie du groupe, de même que dans un tribunal, elle est (et devrait être) l’expertise du tribunal en
tant qu’institution et non celle de tel ou tel membre chargé de présider une affaire. En fait, la doctrine de déférence due à l’expertise du tribunal ne se justifie que si cette expertise est vue, non pas comme
le bagage des membres pris individuellement, qu’ils soient ou non de nouveaux venus au tribunal ou quels que soient leur antécédents, mais bien comme la somme collective de l’expérience et des connaissances
accumulées par le tribunal dans son secteur d’activités.
- La centralisation de l’équipe de direction a élargi les capacités opérationnelles du groupe et permet de moderniser, de façon cohérente et rapide, le fonctionnement de nombreux tribunaux (possibilités de
perfectionnement professionnel accrues, utilisation efficace des mécanismes d’optimisation des décisions32, souci d’offrir aux usagers une expérience positive et uniforme, dynamisation des procédures
judiciaires, etc.).
- Le groupe offre la possibilité d’élaborer des processus adaptés aux usagers dont les intérêts peuvent relever de plusieurs compétences judiciaires. Par exemple, un propriétaire peut souhaiter obtenir une
dérogation mineure (ce qui relève de la Commission des affaires municipales de l'Ontario) ou interjeter appel d’une évaluation foncière (ce qui concerne la Commission de révision de l'évaluation foncière).
Comme dans une entité fusionnée, un groupe pourra se doter de processus et procédures d’arbitrage et de gestion des cas similaires (et parfois reliés entre eux) pour les catégories d’affaires qui relèvent de
plusieurs tribunaux du groupe, mais affectent plus particulièrement les mêmes segments de la population ontarienne.
- On peut mettre à profit l’expérience et l’expertise du vaste bassin d’arbitres et de membres du personnel pour élaborer de meilleures stratégies et régler les problèmes juridictionnels communs, comme le recours aux témoignages d’experts ou la gestion des affaires complexes.
- La qualité des décisions est améliorée par la mine d’expertise qu’offre le regroupement de plusieurs tribunaux.
- La structure en groupe permet d’avoir une plus grande diversité au sein des membres, et donc de mieux refléter les réalités et points de vue de la population ontarienne, et de tirer parti de la richesse que constitue la diversité.
- Il est pIus facile de maintenir un effectif d’arbitres capables d’instruire les instances dans plusieurs langues.
- L’accessibilité de chaque tribunal est améliorée lorsque les membres d’autres tribunaux du groupe résident aux quatre coins de la province et ont les qualités requises pour être nommés conjointement.
- Il est plus facile de trouver des membres à plein temps grâce aux nominations conjointes.
32 Ces mécanismes soutiennent directement le raisonnement qui précède sur la déférence due aux tribunaux experts.
b) Quelques-unes de difficultés actuelles
Nous avons évoqué jusqu’à présent les avantages potentiels de la stratégie ontarienne de regroupement des tribunaux, et l’expérience toute neuve des TriO. Aussi séduisant que puisse être
le concept du regroupement et malgré les résultats encourageants d’expériences semblables menées ailleurs dans le monde, il faut bien admettre que les difficultés de gestion et de direction
sont légion – certaines mineures, d’autres importantes – pour constituer un groupe opérationnel puissant, qui est respecté à l’interne comme à l’externe, et peut atteindre les objectifs
d’efficience, d’accès à la justice et d’efficacité. Voici quelques-unes des difficultés notées par les TriO :
- Répondre aux attentes élevées que suscitent souvent les initiatives de réforme de la justice administrative, en l’absence de toute étude approfondie ou vision, et de tout cadre législatif. Une foule
de questions se pose : quel est l’objet du regroupement, est-ce une fin en soi ou une étape sur la voie d’autres réformes, en quoi peut-il améliorer l’accès à la justice et la qualité des services?
Certains s’interrogeront sur la nécessité de changer ou « d’améliorer » le fonctionnement de tel ou tel tribunal, ou la justice administrative dans son ensemble. Les intervenants internes ou externes se
demanderont peut-être s’il est judicieux d’investir leur temps et leur énergie pour faire aboutir ce projet, et s’ils ont d’ailleurs envie d’y être nommés ou d’y travailler. En réponse à ces questions,
le groupe peut énoncer sa vision et décrire son rôle, il peut même profiter de la grande latitude que lui laisse la loi et expliquer sa situation point par point et de façon éloquente, mais l’incertitude
qui plane sur ses objectifs stratégiques et sa vision à long terme – comment le regroupement peut-il améliorer l’accès à la justice et les services des tribunaux - reste un enjeu de taille.
- Clarifier la situation pour les membres du personnel, les arbitres, les intervenants et autres intéressés qui voudront comprendre, et parfois obtenir un certain degré de certitude sur l’objet que vise
la réforme, et en même temps voudront y prendre part activement, ce qui est tout à fait légitime. L’incertitude inhérente à tout processus d’intégration peut être aussi préoccupante pour certains qu’elle
est exaltante pour d’autres.
- Préserver l’expertise des tribunaux, et la confiance qu’elle inspire au public, tout en encourageant une connaissance plus approfondie et intégrée du travail qui se fait au sein du groupe, et utiliser
cette connaissance pour améliorer la façon dont chaque tribunal sert le public. La difficulté ici est que les initiatives entreprises pour aider les arbitres à faire leur travail avec des connaissances,
une expérience et une optique élargies, à traiter de façon appropriée les dossiers dont les sujets sont interreliés (enrichissement mutuel 33/ optimisation des synergies) ou à mieux comprendre les faits
à l’origine des litiges et les retombées pratiques de leurs décisions, peuvent faire craindre à certains que cela compromettra la spécialisation et la réactivité de tel ou tel tribunal 34 aux enjeux auxquels
il fait face et communautés qu’il dessert.
33 Voir, par exemple, la remarque du juge Brian J. Preston : [traduction] « [un] guichet unique favorise en outre des procédures décisionnelles novatrices de qualité supérieure, tant pour le contenu que la forme,
par l’enrichissement mutuel entre les tribunaux des différentes catégories. » Dans « Operating an Environmental Court: the Experience of the Land and Environmental Court of New South Wales », un exposé sur le droit
environnemental présenté dans le discours d’ouverture devant l’Environmental Commission of Trinidad and Tobago (en page 26). Cet article a également paru dans l’Environmental and Planning Law Journal (EPLJ), vol. 25, 2008, p. 385.
34 À cet égard, il est utile de rappeler que I’une des principales caractéristiques du modèle ontarien est que les tribunaux du groupe conservent leurs spécialisation et expertise dans leur secteur d’activités respectif
(voir la note 6, plus haut, et l’explication qui y est donnée) et ne sont pas fusionnés. Le regroupement devrait donc être perçu comme enrichissant cette expertise, et non comme l’amoindrissant, mais les difficultés de communication
persisteront jusqu’à ce que le concept soit affiné et mieux compris.
- Trouver une solution au risque de conflit d’intérêts au sein du groupe. Nombre des activités qui font la cohérence d’un groupe lorsque les secteurs sont interreliés – formation conjointe, réunions à l’échelle du groupe,
conversations informelles dans les couloirs, ou simplement temps passé à améliorer les compétences essentielles en matière d’arbitrage – peuvent être perçues comme présentant des conflits d’intérêts privés et professionnels
d’un nouvel ordre, ce qui ne se serait pas produit dans un tribunal opérant seul. Ce problème risque de se poser aux membres à temps partiel dont les activités commerciales recoupent un secteur qui relève maintenant du groupe35,
alors qu’auparavant leur qualité de fonctionnaires travaillant dans un tribunal autonome ne les plaçait pas en situation de conflit d’intérêts.
- Établir un cadre hiérarchique intégré et instaurer une culture organisationnelle dans le groupe tout en tenant compte de la culture et du mode opératoire de chaque tribunal.
Assurer aussi un leadership en matière de jurisprudence et la surveillance quotidienne des activités de chaque tribunal sans les balkaniser.
- Pour le président exécutif et les présidents associés, trouver le temps nécessaire pour diriger le développement et la gestion stratégiques du groupe, moderniser chaque tribunal, superviser les activités
quotidiennes, répondre aux attentes des usagers en matière de services et, idéalement, mener à bien des fonctions juridictionnelles clés.
- Gérer efficacement la réforme organisationnelle, une question par nature épineuse. Le personnel et les membres des organisations, notamment ceux qui offrent, depuis longtemps, d’importants services à un vaste
éventail d’intervenants seront, à juste titre, fiers de leur contribution, surtout si, comme les TriO, ils remplissent des mandats d’intérêt public majeurs et fournissent des services importants et de qualité
au public. Cette mine de connaissances et ce professionnalisme sont un grand atout pour le groupe, mais ce passé peut aussi se traduire par une réticence à changer et à partager les acquis, et lourdement
compromettre les tentatives visant à créer une nouvelle culture et à mettre en pratique une mission et des valeurs communes. Il sera difficile aussi d’obtenir l’appui des intervenants externes pendant le
développement et la mise en oeuvre des processus et structures organisationnels nécessaires pour donner corps à la nouvelle réalité du groupe.
- Préserver les techniques juridictionnelles novatrices qui risquent d’être compromises si le tribunal qui s’en sert est regroupé avec des tribunaux plus conventionnels, la propension
naturelle (et certains diront peut-être inéluctable) à l’uniformisation étant de mise dans les grandes organisations.
- Créer des milieux de travail intégratifs sans perdre les avantages d’une étroite collaboration dans certains secteurs.
- Instaurer et maintenir le soutien nécessaire pour mettre en place la stratégie de regroupement au sein des tribunaux, et entre les usagers et les autres intervenants,
car le changement prendra beaucoup de temps, et que le message de convergence associé au regroupement se heurte au fait que le mandat statutaire des tribunaux du groupe, et
les cadres juridique et stratégique régissant les affaires dont ils sont saisis, restent inchangés36.
35 Voir Office de protection de la nature de la rivière Grand c. Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario (ministère des Transports) , Commission des affaires municipales de l’Ontario, non publié, 23 avril 2010.
36 Voir la note 5 plus haut.
3. Le regroupement peut faciliter la modernisation des tribunaux et l’accès à la justice
En admettant que les défis actuels puissent être relevés, on peut penser que le modèle ontarien de regroupement peut faciliter la modernisation des tribunaux. Il peut le faire au même titre que d’autres initiatives de
réforme structurelle, à une grande différence près : chacun des groupes de tribunaux est relativement petit et doit sa création aux liens qui existent entre les affaires qu’ils traitent. Ces facteurs simplifient la
gestion du groupe en la ramenant à une échelle plus gérable, et on peut mettre à profit les liens qui existent déjà pour établir un consensus entre les membres des tribunaux et les intervenants et créer un terrain
d’entente et de compréhension.
Comme nous l’expliquions dans la présentation dont est tiré cet article37, la structure en groupe offre un climat propice à la mise en oeuvre de nombreuses initiatives d’accès à la justice dans les tribunaux
et ce, dans les limites de leurs budgets ou mandats, ou moyennant des changements mineurs 38. Ces initiatives sont variées : soutien efficace aux parties non représentées, accueil et traitement réservés aux
témoignages d’experts, capacité des tribunaux de participer plus activement à la préparation et la gestion des instances, amélioration de l’accessibilité résultant de l’engagement d’intervenants non traditionnels.
Bien entendu, le perfectionnement des compétences en arbitrage, notamment celles qui sont enrichies par une meilleure compréhension des liens qui unissent les affaires instruites par le groupe, ou de leurs
contextes, favorisera lui aussi l’accès à la justice matérielle.
En outre, compte tenu de l’expérience que nous en avons en Ontario, et des initiatives de restructuration de plus grande envergure entreprises ailleurs dans le monde, le modèle ontarien de regroupement peut nous aider à
venir à bout de l’inertie – et parfois de la résistance – qui compromet la modernisation des tribunaux et l’amélioration de l’accès à la justice dans le secteur de la justice administrative et ce, pour plusieurs raisons.
Premièrement, la création d’une nouvelle structure suscite, au départ du moins, l’espoir d’un changement. Il est vrai que les changements ne sont pas toujours vus d’un bon oeil par les intervenants internes et externes
qui ont trouvé des façons d’utiliser le système pour avancer leurs intérêts personnels, commerciaux ou stratégiques. Le regroupement, comme la fusion, des tribunaux s’inscrit dans la volonté d’améliorer la qualité
de la justice administrative. Les changements qui se produisent dans ce contexte seront donc généralement interprétés comme un pas dans la bonne direction.
Deuxièmement, l’établissement d’une nouvelle structure pour améliorer l’efficacité et l’efficience globales entraîne toujours une réflexion sur les procédures, politiques et processus actuels des tribunaux,
ce qui permet de mieux comprendre les changements proposés.
Troisièmement, la mise en place d’initiatives d’accès à la justice dans un groupe de tribunaux permet de réaliser des économies d’échelle. En effet, une grande partie du travail d’élaboration des politiques,
de consultation, de rédaction des règlements et de planification des communications peut être uniformisée, surtout lorsque les champs de compétence des tribunaux se rejoignent. De même, il suffira d’une
seule équipe de direction pour mettre en oeuvre et gérer le plan de réforme. L’uniformisation et la centralisation de la direction nous permettra d’éviter les stratégies et les messages contradictoires
lors du déploiement des initiatives d’accès dans nombre de tribunaux, et d’instaurer un climat dans lequel les changements sont évalués pour leurs avantages, sans les distractions indues que peuvent
engendrer des différences minimes39.
Quatrièmement, on peut s’attendre à ce que les tribunaux issus d’un regroupement ou d’une fusion disposent d’un bassin élargi d’arbitres et de membres du personnel expérimentés et innovateurs, dans lequel
on pourra puiser pour élaborer des initiatives de modernisation et d’accès à la justice. Par ailleurs, la préparation d’un énoncé de mandat, de mission et de valeurs fondamentales conjoints amènera les membres
et le personnel du groupe à réfléchir à leurs rôles et responsabilités dans un contexte élargi. L’idée que chacun se fait de l’accès à la justice, par exemple, et du rôle qu’il peut y jouer s’en trouveront
enrichis. Il est évidemment beaucoup plus facile de mettre en oeuvre des initiatives lorsqu’on peut puiser à même l’expertise acquise dans de nombreux domaines et contextes.
Cinquièmement, lorsqu’on met au point des initiatives d’accès à la justice, on a beaucoup plus de chances de réunir, dans un groupe, une masse critique de personnes ayant les connaissances requises pour
les mettre en oeuvre efficacement que dans un tribunal opérant seul. Lorsqu’un plus grand nombre d’arbitres et d’employés peuvent être formés ensemble à de nouvelles stratégies, idées et connaissances,
et s’entraider dans leur travail, on gagne en efficience et en cohérence.
37 Voir les 11 exemples figurant aux pages 15 à 26 de l’article, voir note 1 plus haut.
38 Dans l’article précédent, nous précisions que notre propos n’était pas d’envisager de nouvelles initiatives ou de nouveaux apports de fonds publics, comme l’amélioration de l’aide juridique ou le
financement des intervenants, mais plutôt de faire le point sur les initiatives dont la plupart des tribunaux peuvent se prévaloir à l’heure actuelle.
39 Les économies d’échelle mentionnées plus tôt plaident en faveur des fusions de grande envergure, mais le regroupement sur une échelle plus modeste présente des avantages analogues, pourvu qu’il
soit régi par une logique universellement acceptée. Si tel est le cas, et si on tient compte de la nature des affaires dont traitent les tribunaux du groupe, et surtout du fait qu’ils peuvent se prévaloir
des mêmes initiatives d’accès à la justice (en particulier pour ce qui est du modèle décisionnel et la rapidité de traitement des instances), le changement sera peut-être encore mieux accueilli dans un
regroupement que dans une fusion massive de tribunaux d’une même compétence. Il n’en reste pas moins que si l’on fait le choix du regroupement, il doit exister dans la compétence un nombre important de
magistrats chevronnés aptes à piloter ce genre d’initiatives.
Conclusion
Pour créer un tribunal décisionnel moderne, il faut tenir compte de toutes sortes de considérations : l’objet visé par la création du tribunal; la nature des litiges qu’il doit trancher et le type de parties
qui s’adressent à lui; si les structures, pratiques et procédures du tribunal favorisent ou, au contraire, entravent l’accès à la justice; le recrutement, la formation et le maintien en poste d’un effectif
hautement qualifié (personnel et arbitres).
Il est important aussi de s’assurer que, dans chacune de leurs activités, les tribunaux privilégient leurs usagers et ne perdent jamais de vue les valeurs fondamentales que sont l’intégrité, la transparence,
l’accès à la justice et l’équité. Dans leurs structures et activités, les tribunaux doivent refléter le fait qu’ils ont un rôle vital dans le système de justice et que, à maints égards, ils incarnent la justice
aux yeux du grand public.
Malgré les difficultés que présente le regroupement, dont certaines sont inhérentes à toute réforme organisationnelle, il semble évident que s’il est bien pensé, mis en oeuvre et dispose de ressources
adéquates, il peut faire avancer les valeurs mentionnées plus tôt, tout en permettant d’utiliser plus efficacement l’infrastructure. S’il met à profit le vaste éventail d’expériences, d’expertises
et de points de vue qu’amèneront avec eux les membres et le personnel des tribunaux qui le constituent, le modèle pourra aussi améliorer l’efficacité avec laquelle chaque tribunal du groupe applique
son expertise aux affaires qu’il instruit, et l’accès à la justice.