Enseignements tirés par les TriO : Le modèle ontarien de regroupement des tribunaux peut-il promouvoir la justice administrative?

Michael Gottheil et Doug Ewart 1

Le 8 mars 2011


Introduction


On trouvera dans cet article une première série d’observations sur la récente initiative ontarienne visant à « regrouper » certains des tribunaux décisionnels de la province. Dans ce modèle, on a réuni un groupe de tribunaux ayant un mandat particulier au sein d’une même organisation, sous la direction d’un président exécutif. Les tribunaux ainsi regroupés, et le groupe en soi, relèvent du ministère du Procureur général 2 . Cette solution structurelle entend pallier le fait que les tribunaux autonomes présentent un certain nombre d’inconvénients, bien qu’ils puissent favoriser et maintenir la spécialisation, ce pour quoi ils ont souvent été créés.

Voici quelques-uns de ces inconvénients : les tribunaux risquent de devenir la chasse gardée du ministère tutélaire et, souvent, de certains intervenants; leurs ressources infrastructurelles ne sont pas utilisées efficacement; ils risquent de devenir des sortes de tours d’ivoire fonctionnant par et pour elles-mêmes; ils risquent de ne plus pouvoir refléter, dans leurs activités, l’évolution des politiques publiques, des valeurs de la société, des questions d’ordre conceptuel, démographique, technique ou juridique. Le cloisonnement des tribunaux risque aussi de nuire à la diversité des affaires traitées et au perfectionnement professionnel des arbitres, en outre, un tribunal saisi d’un faible nombre d’affaires aura beau faire, les ressources risquent tout simplement de lui manquer pour remplir efficacement son mandat d’appareil de justice administrative moderne 3 .


1 Michael Gottheil a été le premier président exécutif des Tribunaux de l'environnement et de l'aménagement du territoire Ontario. En mars 2011, il a été nommé président exécutif du Regroupement des tribunaux de justice sociale. Après une vingtaine d’années de pratique privée en droit administratif et en droit de la personne et du travail, il a occupé de 2005 à 2009 la présidence du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. Lorsque cet article a été rédigé, Doug Ewart était conseiller principal du Projet de réforme du système de justice administrative du TriO. Il compte plus de 30 ans d’expérience en élaboration de politiques judiciaires pour les gouvernements ontarien et canadien dans les secteurs du droit civil, du droit de la famille, du droit administratif, du droit criminel, du droit des Autochtones et du droit de la personne et dans les affaires de droit à l’égalité. Cet article est un extrait mis à jour de la présentation intitulée : « Faciliter l’accès à la justice par le dialogue international : leçons à retenir pour et de la stratégie ontarienne du regroupement visant l’efficacité des tribunaux », qu’a faite Michael Gottheil à l’occasion de l’édition 2010 de l’Australasian Conference of Planning and Environmental Courts and Tribunals, et que l’on peut consulter sur le site Web des TriO. Les opinions exprimées dans cet article sont celles des coauteurs, et non celles du gouvernement de l’Ontario.
2 Lorsqu’ils ne sont pas regroupés, les tribunaux de l’Ontario rendent généralement compte de leurs activités au ministre responsable du secteur dans lequel ils travaillent. Voir la note 22 plus loin.
3 On appelle ces petits tribunaux, souvent isolés, des tribunaux orphelins.

Les solutions structurelles à ce genre de problèmes sont encore assez récentes et vont de la fusion complète (unification), au regroupement par listes ou groupes distincts d’arbitres en fonction des questions à traiter, à la création de conseils ou de secrétariats tutélaires chargés de faciliter, et parfois de coordonner, certains aspects du travail judiciaire au sein de tribunaux qui restent par ailleurs indépendants les uns des autres.

Le regroupement se situe entre ces deux extrêmes. On peut le définir 4 comme la réunion d’un sous-groupe de tribunaux d’une même instance au sein d’une même organisation ou d’un même organisme sous l’autorité d’une entité décisionnelle, chaque tribunal conservant sa compétence légale 5 et sa spécificité de membre6 . Si le regroupement favorise une approche intégrée aux activités, comme nous le verrons plus loin, le modèle adopté en Ontario permet de préserver, voire d’approfondir, le champ de spécialisation 7 , et prévoit que certains tribunaux membres pourront maintenir les liens particuliers qu’ils ont établis avec leurs intervenants et usagers. Sous sa forme actuelle, le modèle ontarien peut nous aider à répondre à plusieurs des questions soulevées (lors de discussions sur la recherche et la réforme du droit 8 ) sur la fusion des tribunaux, et à atteindre, de façon pratique et tangible, un objectif fondamental : l’accès à la justice dans son sens le plus large 9 .


4 Bien que d’un emploi assez limité, ce terme a déjà été employé dans ce genre de contexte, mais dans un sens différent que celui que nous entendons ici; voir par exemple l’argument présenté par la New Zealand Law Commission (dans Determining Justice for All, A Vision for New Zealand’s Courts and Tribunals, mars 2004, p. 288). Elle emploie le terme « regroupement » pour décrire la réunion de tribunaux avec un bien plus grand degré d’uniformisation (des tribunaux moins nombreux, mais de plus grande envergure et intégrés au sein d’une même entité) que nous ne le laissons entendre ci-dessus.
5 Pour comparer l’efficacité de différents regroupements dans une optique internationale, il est important de savoir s’ils découlent de réformes législatives qui ont fusionné les compétences des tribunaux membres ou visaient, plus fondamentalement, à rationaliser les lois et les politiques régissant les affaires instruites par les tribunaux du groupe. Lorsque les premiers groupes ont été créés en Ontario, on n’a fait ni l’un ni l’autre, et le regroupement ne sera accompagné d’aucune autre réforme de la compétence des tribunaux membres ou du contexte législatif et stratégique dans lequel ils opèrent, où les chevauchements des champs d’activités sont fréquents.
6 Dans un regroupement, les nominations conjointes ne changent rien au fait que tous les membres du tribunal, y compris ceux qui sont nommés depuis un autre tribunal, y sont spécialement affectés et ne sont habilités qu’à juger les affaires portées devant le ou les tribunaux où ils sont nommés. Aux termes de l’article 14 de la Loi de 2009 sur la responsabilisation et la gouvernance des tribunaux décisionnels et la nomination à ces tribunaux, L.O. 2009, chap. 33, annexe 5 (la Loi sur les tribunaux décisionnels), les personnes nommées à des tribunaux décisionnels doivent avoir les qualités requises définies par la loi, et « l’expérience, les connaissances ou la formation en ce qui concerne le sujet et les questions de droit dont traite le tribunal » où elles sont affectées, à moins que ces exigences ne soient abolies par un règlement pris en application de l’alinéa 23 e) de la Loi. En dehors des dispositions concernant le regroupement, la Loi n’a pas encore été adoptée.
7 Il s’agit là d’une différence notable entre le modèle ontarien de regroupement et les autres modèles de réforme, comme les fusions. Préserver le champ de spécialisation est précisément ce pour quoi la plupart des tribunaux ont été créés et répond aux besoins de ses usagers et des personnes touchées par ses décisions, c’est aussi un moyen de promouvoir directement l’accès à la justice (voir l’article mentionné plus haut à la note 1, pages 16 et 17). Ce modèle facilite aussi indirectement l’accès à la justice en fondant sur des principes la déférence des cours de révision, ce qui renforce l’irrévocabilité des décisions judiciaires et limitent les avantages que pourraient avoir ceux qui ont les ressources nécessaires pour faire réinstruire leurs affaires.
Les auteurs tiennent à remercier Jamie Baxter de son précieux travail de recherche et d’analyse sur la comparaison du modèle ontarien de regroupement et les stratégies adoptées ou envisagées par d’autres compétences pour réunir des tribunaux. M. Baxter, qui a obtenu son diplôme de la faculté de droit de l’Université de Toronto en 2010, a travaillé comme stagiaire d’été la même année aux TriO sous la direction générale de Lorne Sossin, doyen de la faculté de droit d’Osgoode Hall de l’Université York.
9 Voir l’article cité plus haut à la note 1, pages 13 à 21, et note 7.

1. Le fondement législatif du regroupement : Liens et synergies

La Loi de 2009 sur la responsabilisation et la gouvernance des tribunaux décisionnels et les nominations à ces tribunaux10 (la Loi sur les tribunaux décisionnels) offre un cadre élargi qui facilite l’évolution des tribunaux décisionnels de l’Ontario 11. Elle fixe les exigences de production et de publication des documents qui doivent décrire leurs composantes structurelles clés en tant qu’organismes publics responsables devant le public, notamment à travers le gouvernement, et en tant qu’organismes décisionnels au sein du système de justice où la nécessité de concilier responsabilisation et indépendance de toute influence extérieure, y compris celle du gouvernement, soulève des questions de gouvernance bien particulière. Ces documents comprennent : énoncé de mission et de mandat, qualités requises des membres, normes de service, politiques de règlement des plaintes, code déontologique, et autres questions semblables 12.. La Loi rappelle que les tribunaux décisionnels sont indépendants, la nomination des membres doit se faire sur la recommandation du président, après un processus concurrentiel fondé sur le mérite 13, les qualités requises étant définies.

La Loi habilite aussi le gouvernement à désigner deux tribunaux décisionnels ou plus « comme groupe » s’il est d’avis que les questions dont ils traitent sont telles « qu’ils peuvent fonctionner de manière plus efficace et efficiente comme membres d’un groupe qu’isolément »14.

La disposition régissant le regroupement a été rédigée de manière à transmettre des messages importants sur l’intention du législateur. Ainsi, pour pouvoir regrouper deux tribunaux ou plus conformément à la Loi, le gouvernement doit avoir pris connaissance du type d’affaires 15 qu’ils traitent et conclu que ces affaires seraient réglées plus efficacement en regroupant ces tribunaux qu’en les laissant opérer seuls. Dans la formule ontarienne, le regroupement se justifie dès lors qu’il améliore l’efficience et la capacité des tribunaux membres de traiter et de régler les affaires dont ils sont saisis.


10 Voir la note 6.
11 En Ontario, l’expression tribunal décisionnel désigne un tribunal prescrit comme tel en vertu de la Loi sur les tribunaux décisionnels. Il n’existe pas de définition officielle. Voir le Règl. de l’Ont. 126/10 pour une liste à jour des tribunaux décisionnels.
12 Loi sur les tribunaux décisionnels, citée plus haut à la note 6, articles 3 à 8.
13 Idem, article 14. Le gouvernement peut admettre des exceptions : voir l’alinéa 23 e).
14 Idem, article 15. Cette disposition est entrée en vigueur.
15 Dans le contexte des TriO, les affaires ayant menées à la création du regroupement sont celles dont sont habituellement saisis ces tribunaux, elles portent toutes sur l’aménagement du territoire et l’évaluation foncière. Dans d’autres modèles, le terme prescrit peut s’appliquer à la nature des affaires portées devant les tribunaux regroupés, même si le sujet commun n’est pas aussi clairement défini que le territoire. Ni l’un ni l’autre de ces scénarios n’exige que l’ensemble des tribunaux décisionnels dont l’efficacité pourrait être améliorée par un regroupement fassent partie d’une telle entité, ni que l’efficacité de chaque tribunal membre soit améliorée de façon identique. Le regroupement n’est pas, en soi, une fin structurelle rigoureusement définie, mais une façon souple d’aider les tribunaux membres à mieux servir le public.

Le législateur a choisi de regrouper les tribunaux selon leur aptitude à traiter plus efficacement les affaires dont ils sont saisis, mais certains proposent de le faire en fonction d’autres considérations comme :

Le regroupement est fondé, en partie, sur une amélioration notable de l’efficacité des tribunaux membres, mais le législateur ne vise pas seulement les gains d’efficience, découlant du partage des locaux et de l’intégration administrative, mais aussi une efficacité accrue dans le règlement des affaires qui relèvent de la compétence des tribunaux du groupe. Deux concepts entrent en jeu ici : i) l’efficacité, et non seulement l’efficience; et ii) l’efficacité quant au fond et non quant à la procédure. Le modèle ontarien de regroupement ne cherche pas uniquement à améliorer le rendement des tribunaux, mais plutôt à améliorer les résultats pour les usagers ou les personnes affectées par leurs décisions 16 .


16 Lorsqu’on évalue les résultats plutôt que le rendement, l’accent n’est plus sur le volume d’affaires réglées et la rapidité de traitement des instances, mais sur les résultats obtenus. Le type de résultats que l’on peut attendre d’un regroupement comprend des décisions prises en fonction de considérations juridiques et contextuelles qui traversent les compétences judiciaires, et forment un corpus jurisprudentiel cohérent, qui aidera ceux qui sont touchés par les décisions judiciaires.


Une fois que le gouvernement a exercé son pouvoir de regroupement, les tribunaux concernés sont désignés « comme groupe »17. C’est une forme de concrétisation du concept de groupe, et c’est plus qu’une référence, car une fois constitué, le groupe devient une entité reconnue par la loi, avec une identité et un objet qui lui sont propres. La Loi précise également qu’en cas de regroupement, les documents de responsabilisation en matière de gouvernance que tous les tribunaux décisionnels ontariens doivent détenir, et qui deviennent des caractéristiques organisationnelles déterminantes, doivent être préparés et signés conjointement 18. Nous l’avons dit plus haut, ces documents comportent, entre autres, un énoncé de mission et une description des compétences et des qualités requises des membres. Ici encore, le fait que les tribunaux regroupés doivent conjointement produire un énoncé de mission, ainsi qu’une description des compétences et des qualités requises de leurs membres, indique que le groupe doit avoir une existence et un objet avant d’être considéré comme une entité administrative formée de plusieurs tribunaux.

Une fois le groupe créé, le gouvernement peut nommer un président exécutif qui dirige et gère tous les tribunaux membres. Ce président cumule donc, par force de loi, tous les pouvoirs et toutes les responsabilités dont est investi le président de chacun de ces tribunaux en vertu d’une loi, d’un règlement, d’un décret ou d’une directive19. Le choix de conférer tous ces pouvoirs et toutes ces responsabilités à un seul président souligne la volonté de ne pas se limiter au modèle du président coordonnateur et de créer une situation où le président exécutif dirige le groupe en tant qu’entité pour améliorer l’efficacité et l’efficience.

La Loi permet, mais ne requiert pas du gouvernement qu’il nomme un président associé à la tête de chaque tribunal du groupe. S’il choisit de le faire, il peut nommer un ou plusieurs des présidents associés comme présidents exécutifs suppléants du groupe. Cette structure hiérarchique souligne que le groupe doit fonctionner comme une entité interconnectée, et non seulement comme un groupe coordonné d’organismes décisionnels ayant chacun leur propre direction.

La Loi sur les tribunaux décisionnels illustre clairement la volonté du législateur de créer des groupes de tribunaux à des fins qui ne se limitent pas à la coordination et l’efficience administratives. Il suffirait, pour atteindre ces objectifs, de faire appel à des spécialistes externes en efficience et d’encourager les tribunaux à travailler de concert. En faisant de l’amélioration des résultats (l’efficacité visée) des tribunaux regroupés une condition clé du regroupement, en exigeant la production de documents de responsabilisation et de gouvernance conjoints et en nommant un seul président exécutif à la tête de tous les tribunaux du groupe, on envoie un autre message. Il faut interpréter et appliquer le mandat du groupe de tribunaux de façon à partager les expériences, améliorer les connaissances, développer les liens et encourager les synergies entre les affaires traitées par un groupe, avec la seule réserve de respecter les éléments inchangés du mandat statutaire de chaque tribunal membre.


17 Voir, Règl. de l’Ont. 126/10, qui crée officiellement le groupe des TriO. Voir aussi le paragraphe 16 (3) de la Loi sur les tribunaux décisionnels (plus haut, note n°8) qui prescrit la nomination des présidents exécutifs suppléants « du groupe ».
18 Idem, article 18.
19 Idem, article 17. Le gouvernement peut, par règlement, l’exempter de certaines tâches normalement attribuées au président exécutif en vertu de cette disposition; voir l’alinéa 23 f).

2. 2. Où en est le regroupement aujourd’hui

Les Tribunaux de l’environnement et de l’aménagement du territoire Ontario (TriO) nous ont donné une première 20 occasion de savoir si des tribunaux regroupés fonctionnent de façon plus efficiente qu’ils ne le feraient isolément, si les affaires dont ils sont saisis peuvent être réglées plus efficacement, et si l’accès à la justice et la qualité des services peuvent être notablement améliorés. Leur création est généralement considérée comme un indicateur clé de la volonté de l’Ontario de moderniser la justice administrative.

Ce regroupement était informel à l’origine; les cinq tribunaux des TriO 21 ont été regroupés sous un même toit sous l’autorité d’un seul ministère 22, et le tout intégré dans une infrastructure administrative fusionnée 23. On a accéléré le processus en nommant, en novembre 2009, un président exécutif à la tête des cinq tribunaux et en adoptant cet automne-là la Loi sur les tribunaux décisionnels 24 qui établit le cadre législatif du regroupement.


20 En août 2010, le gouvernement de l’Ontario a annoncé la création d’un second groupe réunissant les tribunaux de « justice sociale », et l’ouverture d’un concours pour le poste de président exécutif. Ce groupe a été officiellement créé le 25 janvier 2011 par une modification au Règl. de l’Ont. 126/10, et son président exécutif (Michael Gottheil) a depuis été nommé par le Conseil des ministres.
21 Les tribunaux qui composent le groupe Tribunaux de l'environnement et de l'aménagement du territoire Ontario sont les suivants : La Commission de révision de l'évaluation foncière, qui entend des appels en matière d'évaluation foncière et s'assure que les biens-fonds sont évalués en conformité avec les dispositions de la Loi sur l'évaluation foncière. La Commission, chargée d’appliquer diverses autres lois, entend aussi des appels relatifs à l'impôt foncier.
La Commission de négociation, qui sert d'organe de médiation volontaire dans les litiges concernant l'indemnisation accordée en cas d'expropriation. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, l'affaire peut être portée en appel devant la Commission des affaires municipales de l'Ontario.
La Commission des biens culturels, qui tient des audiences sur les litiges visant des biens susceptibles d’avoir une valeur ou un intérêt sur le plan du patrimoine culturel, ou des litiges entourant la délivrance de licences archéologiques. Après avoir examiné une affaire, la Commission formule des recommandations à l’instance à qui revient la décision finale, soit le conseil municipal local soit le ministre de la Culture.
Le Tribunal de l'environnement, qui entend des demandes et des appels en vertu de diverses lois environnementales et d’aménagement du territoire, y compris de la Charte des droits environnementaux de 1993, la Loi sur la protection de l'environnement, la Loi sur les ressources en eau de l'Ontario et la Loi de 2002 sur la salubrité de l’eau potable. Le Tribunal agit également en tant que Bureau des audiences de la Commission de l'escarpement du Niagara et entend les appels visant des permis d'aménagement et des demandes de modification du Plan d'aménagement de l'escarpement du Niagara pour cette réserve mondiale de la biosphère, qui est une aire protégée. Enfin, en qualité de Bureau de jonction des audiences, il tient des audiences conjointes sur des affaires qui, autrement, devraient être instruites par plusieurs tribunaux.
La Commission des affaires municipales de l'Ontario, qui entend des demandes et des appels visant diverses affaires municipales et portant sur des questions financières, foncières ou d’aménagement du territoire, notamment plans officiels, règlements de zonage, plans de lotissement, consentements et dérogations mineures, indemnisation foncière, redevances d'aménagement, limites des circonscriptions électorales municipales, finances municipales, ressources en agrégat et autres questions relevant de la Commission en vertu de diverses lois de l'Ontario.

22 Les deux tribunaux des TriO qui ne relevaient pas encore du ministère du Procureur général lui ont été rattachés, dans un souci de conformité au rôle des tribunaux administratifs dans l’ensemble du système judiciaire, et aussi pour montrer que les tribunaux sont des organes judiciaires indépendants de leurs ministères de tutelle, contrairement aux organismes chargés d’exécuter les programmes gouvernementaux.
23 Ce groupe a été créé après une analyse et un processus de consultation approfondis entamés en 2005-2006 par Kevin Whitaker, alors président de la Commission des relations de travail de l’Ontario (aujourd’hui juge à la Cour supérieure de justice). Voir le Rapport intérimaire du facilitateur du groupe des tribunaux en matière d’affaires municipales, d’environnement et d’aménagement du territoire daté du 31 janvier 2007, et le Rapport final du 22 août 2007.
24 Voir plus haut, note 6.

a) Aperçu des caractéristiques et avantages clés


Bien que l’historique législatif soit très limité, on peut sans crainte avancer que la Loi sur les tribunaux décisionnels met en évidence les objectifs de modernisation que l’Ontario poursuit, depuis quelque temps déjà, mais sans fondement législatif générique. On retrouve ces objectifs un peu partout : dans des travaux de recherche et de symposiums 25, dans le travail d’organisations comme la Society of Ontario Adjudicators and Regulators (SOAR), dans les directives du gouvernement en matière de gouvernance judiciaire et dans certaines lois antérieures 26 . Ils comprennent l’accessibilité, l’équité, la professionnalisation, la proportionnalité, le règlement rapide des litiges, la prise de décisions fondées sur des motifs clairs, concis et compréhensibles, des mécanismes qui améliorent la cohérence jurisprudentielle des tribunaux et, en général, la primauté de l’usager. Ces objectifs et les valeurs essentielles qui s’y rattachent font partie de catégories d’objectifs plus générales, tels que l’accès à la justice, la responsabilité et l’indépendance.

Le modèle structurel adopté dans les premiers groupes de l’Ontario, bien qu’ayant un caractère propre et encore très récent, et bien que présentant des défis bien particuliers, possède plusieurs caractéristiques qui peuvent nous rapprocher de ces objectifs. Voici quelques-unes des caractéristiques clés, identifiées par les TriO :



25 25 Voir, par exemple, les articles réunis dès 2007 à l’adresse suivante : http://www.law-lib.utoronto.ca/Conferences/Administrative_Justice_Bibliography/ajb.htm#1.
26 Par exemple, l’obligation légale de ne nommer les membres d’un tribunal décisionnel qu’à l’issue d’un processus concurrentiel, fondé sur le mérite et les critères prescrits en matière de travail et de procédures judiciaires, est apparue pour la première fois en Ontario en 2006, dans les modifications apportées au Code des droits de la personne (voir le paragraphe 32 (3) du Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19, tel que modifié). D’autres dispositions de cette loi établissent le cadre juridique pour mener les instances et régler les litiges dans un modèle judiciaire dynamique, signe que les tribunaux ont la maturité nécessaire pour agir en toute indépendance au sein du système de justice.
27 Voir la note 6 plus haut.
28 Selon l’actuelle description de poste des TriO, le président associé « en tant que membre de l’équipe de la haute direction des TriO, participe au renforcement et à la direction du groupe de tribunaux qui forme les TriO », en plus d’assurer un leadership en matière de jurisprudence et la supervision quotidienne [bien qu’il ne soit pas responsable délégué] d’au moins un des tribunaux composant les TriO.
29 La description du poste de président associé des TriO prévoit aussi qu’il doit informer régulièrement le président exécutif et lui fournir des recommandations sur les causes et les questions soulevées dans un tribunal qui revêtent une grande importance, qui ont une forte incidence sur le public et sur la jurisprudence procédurale ou substantielle ou les ressources requises d’un tribunal ou des parties, qui influent sur la compétence du tribunal ou soulèvent des questions qui intéressent l’ensemble du groupe, y compris l’affectation d’une expertise judiciaire particulière ou le recours à des nominations conjointes, ou qui portent sur des plaintes ou des demandes de réexamen ou de révision.



30 Par exemple, le plan de perfectionnement professionnel des TriO offrira des programmes aux membres de tous les tribunaux du groupe. Des programmes adaptés seront également proposés, au besoin, ils seront classés par ordre de priorité, élaborés et coordonnés par le comité de perfectionnement professionnel des TriO. Le comité cherchera aussi des façons d’encourager la participation des membres d’autres tribunaux des TriO.
31 Dans un groupe, l’expertise englobe l’expérience et les connaissances de tous les arbitres qui font partie du groupe, de même que dans un tribunal, elle est (et devrait être) l’expertise du tribunal en tant qu’institution et non celle de tel ou tel membre chargé de présider une affaire. En fait, la doctrine de déférence due à l’expertise du tribunal ne se justifie que si cette expertise est vue, non pas comme le bagage des membres pris individuellement, qu’ils soient ou non de nouveaux venus au tribunal ou quels que soient leur antécédents, mais bien comme la somme collective de l’expérience et des connaissances accumulées par le tribunal dans son secteur d’activités.



32 Ces mécanismes soutiennent directement le raisonnement qui précède sur la déférence due aux tribunaux experts.

b) Quelques-unes de difficultés actuelles


Nous avons évoqué jusqu’à présent les avantages potentiels de la stratégie ontarienne de regroupement des tribunaux, et l’expérience toute neuve des TriO. Aussi séduisant que puisse être le concept du regroupement et malgré les résultats encourageants d’expériences semblables menées ailleurs dans le monde, il faut bien admettre que les difficultés de gestion et de direction sont légion – certaines mineures, d’autres importantes – pour constituer un groupe opérationnel puissant, qui est respecté à l’interne comme à l’externe, et peut atteindre les objectifs d’efficience, d’accès à la justice et d’efficacité. Voici quelques-unes des difficultés notées par les TriO :




33 Voir, par exemple, la remarque du juge Brian J. Preston : [traduction] « [un] guichet unique favorise en outre des procédures décisionnelles novatrices de qualité supérieure, tant pour le contenu que la forme, par l’enrichissement mutuel entre les tribunaux des différentes catégories. » Dans « Operating an Environmental Court: the Experience of the Land and Environmental Court of New South Wales », un exposé sur le droit environnemental présenté dans le discours d’ouverture devant l’Environmental Commission of Trinidad and Tobago (en page 26). Cet article a également paru dans l’Environmental and Planning Law Journal (EPLJ), vol. 25, 2008, p. 385.
34 À cet égard, il est utile de rappeler que I’une des principales caractéristiques du modèle ontarien est que les tribunaux du groupe conservent leurs spécialisation et expertise dans leur secteur d’activités respectif (voir la note 6, plus haut, et l’explication qui y est donnée) et ne sont pas fusionnés. Le regroupement devrait donc être perçu comme enrichissant cette expertise, et non comme l’amoindrissant, mais les difficultés de communication persisteront jusqu’à ce que le concept soit affiné et mieux compris.



35 Voir Office de protection de la nature de la rivière Grand c. Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario (ministère des Transports) , Commission des affaires municipales de l’Ontario, non publié, 23 avril 2010.
36 Voir la note 5 plus haut.

3. Le regroupement peut faciliter la modernisation des tribunaux et l’accès à la justice


En admettant que les défis actuels puissent être relevés, on peut penser que le modèle ontarien de regroupement peut faciliter la modernisation des tribunaux. Il peut le faire au même titre que d’autres initiatives de réforme structurelle, à une grande différence près : chacun des groupes de tribunaux est relativement petit et doit sa création aux liens qui existent entre les affaires qu’ils traitent. Ces facteurs simplifient la gestion du groupe en la ramenant à une échelle plus gérable, et on peut mettre à profit les liens qui existent déjà pour établir un consensus entre les membres des tribunaux et les intervenants et créer un terrain d’entente et de compréhension.

Comme nous l’expliquions dans la présentation dont est tiré cet article37, la structure en groupe offre un climat propice à la mise en oeuvre de nombreuses initiatives d’accès à la justice dans les tribunaux et ce, dans les limites de leurs budgets ou mandats, ou moyennant des changements mineurs 38. Ces initiatives sont variées : soutien efficace aux parties non représentées, accueil et traitement réservés aux témoignages d’experts, capacité des tribunaux de participer plus activement à la préparation et la gestion des instances, amélioration de l’accessibilité résultant de l’engagement d’intervenants non traditionnels. Bien entendu, le perfectionnement des compétences en arbitrage, notamment celles qui sont enrichies par une meilleure compréhension des liens qui unissent les affaires instruites par le groupe, ou de leurs contextes, favorisera lui aussi l’accès à la justice matérielle.

En outre, compte tenu de l’expérience que nous en avons en Ontario, et des initiatives de restructuration de plus grande envergure entreprises ailleurs dans le monde, le modèle ontarien de regroupement peut nous aider à venir à bout de l’inertie – et parfois de la résistance – qui compromet la modernisation des tribunaux et l’amélioration de l’accès à la justice dans le secteur de la justice administrative et ce, pour plusieurs raisons.

Premièrement, la création d’une nouvelle structure suscite, au départ du moins, l’espoir d’un changement. Il est vrai que les changements ne sont pas toujours vus d’un bon oeil par les intervenants internes et externes qui ont trouvé des façons d’utiliser le système pour avancer leurs intérêts personnels, commerciaux ou stratégiques. Le regroupement, comme la fusion, des tribunaux s’inscrit dans la volonté d’améliorer la qualité de la justice administrative. Les changements qui se produisent dans ce contexte seront donc généralement interprétés comme un pas dans la bonne direction.

Deuxièmement, l’établissement d’une nouvelle structure pour améliorer l’efficacité et l’efficience globales entraîne toujours une réflexion sur les procédures, politiques et processus actuels des tribunaux, ce qui permet de mieux comprendre les changements proposés.

Troisièmement, la mise en place d’initiatives d’accès à la justice dans un groupe de tribunaux permet de réaliser des économies d’échelle. En effet, une grande partie du travail d’élaboration des politiques, de consultation, de rédaction des règlements et de planification des communications peut être uniformisée, surtout lorsque les champs de compétence des tribunaux se rejoignent. De même, il suffira d’une seule équipe de direction pour mettre en oeuvre et gérer le plan de réforme. L’uniformisation et la centralisation de la direction nous permettra d’éviter les stratégies et les messages contradictoires lors du déploiement des initiatives d’accès dans nombre de tribunaux, et d’instaurer un climat dans lequel les changements sont évalués pour leurs avantages, sans les distractions indues que peuvent engendrer des différences minimes39.

Quatrièmement, on peut s’attendre à ce que les tribunaux issus d’un regroupement ou d’une fusion disposent d’un bassin élargi d’arbitres et de membres du personnel expérimentés et innovateurs, dans lequel on pourra puiser pour élaborer des initiatives de modernisation et d’accès à la justice. Par ailleurs, la préparation d’un énoncé de mandat, de mission et de valeurs fondamentales conjoints amènera les membres et le personnel du groupe à réfléchir à leurs rôles et responsabilités dans un contexte élargi. L’idée que chacun se fait de l’accès à la justice, par exemple, et du rôle qu’il peut y jouer s’en trouveront enrichis. Il est évidemment beaucoup plus facile de mettre en oeuvre des initiatives lorsqu’on peut puiser à même l’expertise acquise dans de nombreux domaines et contextes.

Cinquièmement, lorsqu’on met au point des initiatives d’accès à la justice, on a beaucoup plus de chances de réunir, dans un groupe, une masse critique de personnes ayant les connaissances requises pour les mettre en oeuvre efficacement que dans un tribunal opérant seul. Lorsqu’un plus grand nombre d’arbitres et d’employés peuvent être formés ensemble à de nouvelles stratégies, idées et connaissances, et s’entraider dans leur travail, on gagne en efficience et en cohérence.



37 Voir les 11 exemples figurant aux pages 15 à 26 de l’article, voir note 1 plus haut.
38 Dans l’article précédent, nous précisions que notre propos n’était pas d’envisager de nouvelles initiatives ou de nouveaux apports de fonds publics, comme l’amélioration de l’aide juridique ou le financement des intervenants, mais plutôt de faire le point sur les initiatives dont la plupart des tribunaux peuvent se prévaloir à l’heure actuelle.
39 Les économies d’échelle mentionnées plus tôt plaident en faveur des fusions de grande envergure, mais le regroupement sur une échelle plus modeste présente des avantages analogues, pourvu qu’il soit régi par une logique universellement acceptée. Si tel est le cas, et si on tient compte de la nature des affaires dont traitent les tribunaux du groupe, et surtout du fait qu’ils peuvent se prévaloir des mêmes initiatives d’accès à la justice (en particulier pour ce qui est du modèle décisionnel et la rapidité de traitement des instances), le changement sera peut-être encore mieux accueilli dans un regroupement que dans une fusion massive de tribunaux d’une même compétence. Il n’en reste pas moins que si l’on fait le choix du regroupement, il doit exister dans la compétence un nombre important de magistrats chevronnés aptes à piloter ce genre d’initiatives.

Conclusion


Pour créer un tribunal décisionnel moderne, il faut tenir compte de toutes sortes de considérations : l’objet visé par la création du tribunal; la nature des litiges qu’il doit trancher et le type de parties qui s’adressent à lui; si les structures, pratiques et procédures du tribunal favorisent ou, au contraire, entravent l’accès à la justice; le recrutement, la formation et le maintien en poste d’un effectif hautement qualifié (personnel et arbitres).

Il est important aussi de s’assurer que, dans chacune de leurs activités, les tribunaux privilégient leurs usagers et ne perdent jamais de vue les valeurs fondamentales que sont l’intégrité, la transparence, l’accès à la justice et l’équité. Dans leurs structures et activités, les tribunaux doivent refléter le fait qu’ils ont un rôle vital dans le système de justice et que, à maints égards, ils incarnent la justice aux yeux du grand public.

Malgré les difficultés que présente le regroupement, dont certaines sont inhérentes à toute réforme organisationnelle, il semble évident que s’il est bien pensé, mis en oeuvre et dispose de ressources adéquates, il peut faire avancer les valeurs mentionnées plus tôt, tout en permettant d’utiliser plus efficacement l’infrastructure. S’il met à profit le vaste éventail d’expériences, d’expertises et de points de vue qu’amèneront avec eux les membres et le personnel des tribunaux qui le constituent, le modèle pourra aussi améliorer l’efficacité avec laquelle chaque tribunal du groupe applique son expertise aux affaires qu’il instruit, et l’accès à la justice.